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Acquisition du langage : ce que nous apprennent les neurosciences

L’enfant est un être de relation et de communication. Il est programmé génétiquement pour interagir avec autrui. Catherine Lefèvre, psychomotricienne, Diplômée en sciences de l’éducation et en neurosciences, formatrice petite enfance et Directrice Pédagogique chez Speakid, explique ici en quoi le langage est essentiel et tout ce que les neurosciences ont permis de comprendre sur la façon dont il s’acquiert. Et en tire des conseils pour favoriser son apprentissage. Son credo : Parlons aux bébés, parlons avec eux ; les mots sont essentiels au bon développement et à la santé de l’enfant.


Les échanges sont vitaux pour le développement de l’enfant, et par le passé, plusieurs expériences malheureuses sont venues confirmer ce caractère essentiel : la recherche du langage universel par Frédéric II de Prusse, en est un exemple terrible. Souhaitant connaître la langue universelle des nourrissons, Louis II interdit aux nourrices de parler aux enfants. Le résultat se soldera par le décès des bébés. L’enfant a besoin de grandir dans un univers sensoriel sonore, et langagier. Les pédagogues tels que Emmi Pikler, avec la notion de verbalisation, Françoise Dolto qui insista sur l’importance du parler vrai avec l’enfant ou Loris Malaguzzi qui insista sur les 100 langages de l’enfant, ont permis de positionner cet axe comme central dans le développement du jeune enfant.


Dès la naissance, un génie du langage

Les avancées en neurosciences appliquées à l’enfant, permettent de mieux cerner les mécanismes cérébraux, impliqués dans les apprentissages langagiers, et ce, dès le plus jeune âge.

Dès le 6ème mois de grossesse, on peut noter in utero un développement important des régions temporale et frontale du cerveau, créant une certaine asymétrie du volume cortical. Cette dernière se comprend aisément : la région temporale où se trouve l’aire de Wernicke est le siège de la compréhension langagière, tandis que se trouve dans la région frontale l’aire de Broca siège de la production du langage. Des régions qui seront activées et sollicitées dès que les variables environnementales seront présentes.

Dès la naissance, le jeune enfant développe des mécanismes d’apprentissages ciblés, notamment dans les domaines de la sensorialité. On désigne ainsi comme période sensible sensorielle la période s’étendant de la naissance à 3 ans.

Le sens de l’audition est très développé. Le nourrisson discrimine la voix de sa mère dès les premières heures de sa vie (cf. le film « le bébé est une personne » de B. Martino).


Le bébé, un polyglotte en herbe

Si sa mère parle plusieurs langues, le bébé aura une nette préférence pour sa langue maternelle. Dès 4 jours, il distingue les différentes langues pratiquées par un même locuteur. Dès 4 mois, le tout-petit fait même la distinction entre des langues similaires : pour les langues latines, il sera alors capable de différencier l’italien de l’espagnol, le français de l’italien…

Le bébé place le son, dans l’espace. Il est capable de le suivre s’il se déplace. Il est sensible aux intonations, aux différences d’intensités, aux phrasés et aux mélodies…

Il fait la différence entre la plupart des voyelles et des consonnes de toutes les langues du monde. Il repère également très vite les sons qui ne sont pas utilisés dans sa langue maternelle. Il détecte les variations de prosodie (voix qui monte descend s’arrête…). Il identifie les groupes de sons qui se suivent fréquemment (se comporte comme un statisticien)

La science parle du nourrisson, comme d’un génie du langage. Cette capacité de reconnaître les différents phonèmes mondiaux, lui vaut le nom de « bébé international ».


Vers un an, l'enfant se concentre sur sa langue maternelle

Cependant, le bébé ne garde cette aptitude que quelques temps : jusqu’à l’âge de 9-10 mois pour les enfants élevés dans des environnements monolingues, plus tardivement pour ceux qui bénéficient d’un environnement multilingue. Avec le temps, il se centre sur les sonorités de la langue entendue au quotidien- sa langue maternelle - et il finit par perdre toute reconnaissance « internationale » des phonèmes.

Fort à propos, certaines capacités développementales viennent compenser, contrebalancer, cette perte innée des phonèmes internationaux, et donner du sens aux âges choisis par l’éducation nationale pour l’apprentissage d’une seconde langue.

En effet, vers 10-12 ans, si l’enfant est naturellement moins sensible et réceptif aux différentes sonorités, il amorce et développe une analyse des mécanismes grammaticaux, et une compréhension du fonctionnement des différentes syntaxes linguistiques. Ceci lui permet de mettre en place d’autres stratégies pour l’apprentissage d’une seconde langue.


Les 4 facteurs qui facilitent l’apprentissage du langage

Les neurosciences cognitives ont identifié au moins quatre facteurs qui déterminent la vitesse et la facilité d’apprentissage : l’attention, l’engagement actif, le retour d’informations, la consolidation. Ces piliers sont des essentiels pour les apprentissages langagiers.

- L’attention soutenue et accompagnée dans l’échange à deux, dans des contextes aux stimulations ciblées et choisies

- L’engagement actif de l’enfant dans la découverte, l’expérimentation orale et/ou gestuelle. L’enfant est libre de s’exprimer, il y est encouragé et écouté

- Le soutien de l’adulte qui donne le temps, pose des mots, reformule et/ou complète la phrase afin que la syntaxe soit correcte, offre le retour d’information nécessaire à l’enfant afin qu’il réajuste ses essais de langage oral.

- Le repos qui permet la consolidation des apprentissages, car c’est la phase d’encodage des informations acquises et des découvertes vécues.

La mise en mémoire des apprentissages chez le jeune enfant est également liée à la maturation de son système nerveux. En effet, le tout-petit s’appuie essentiellement sur sa mémoire épisodique de contexte (lobe frontal) et sa mémoire répétitive (hippocampe) pour élaborer une trace mnésique cérébrale. C’est pourquoi, il sera important d’offrir des environnements agréables sereins qui génèrent confiance et estime de soi et d’insister sur la répétition orale des professionnels.


Ne pas sous-estimer le plaisir de la découverte

S’appuyer sur une bonne connaissance du développement du jeune enfant est donc fondamental, pour proposer des interactions qui encouragent le positionnement de l’enfant acteur dans la découverte du langage. Mais il y a aussi le plaisir. Indispensable car il motive, incite à persister et à poursuivre l‘effort. C’est aussi une récompense car il apporte satisfaction et donne du sens à l’action : ici de découvrir et d’apprendre. Enfin, il contribue au développement et à la maturation du système nerveux (par la production de la dopamine libérée dans les moments heureux).


Catherine Lefèvre, Les pros de la petite enfance, le 30 novembre 2022

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